« Au premier coup d’œil,
je réalise que je suis devant
un chef d’œuvre, un chef d’œuvre absolu. » Jean Clottes - Décembre 1994
« Au premier coup d’œil, je réalise que je suis devant un chef d’œuvre, un chef d’œuvre absolu. » Jean Clottes est pourtant difficilement impressionnable. Premier scientifique à avoir pénétré à l'intérieur de la grotte à Noël en 1994, juste après sa découverte, l’éminent préhistorien a, au cours de sa riche carrière, visité des milliers de grottes ornées dans le monde entier. Quand il découvre les 8.000 m2 de la grotte Chauvet, dans laquelle on pénètre par un étroit boyau vertical, Jean Clottes sait immédiatement qu’il est devant un site d’exception.
Vingt ans de recherches et d’études ont permis de dater l’occupation de cette grotte. Les hommes ont peint et gravé les fresques il y a 35.000 ans. « Cette datation a changé radicalement notre conception classique de l’art, explique Jean Clottes. Jusque là, on croyait à une sorte de progrès de l’art, que les premiers hommes peignaient de manière frustre et moche et qu’ils s’étaient améliorés jusqu’à la plénitude de Lascaux. »
Or, les fresques de Chauvet, deux fois plus anciennes que celles de Lascaux, sont au moins aussi belles, et bien plus grandes. « L’art préhistorique, comme l’art en général, a évolué en dents de scie. A Chauvet, on est à un sommet. »
Jean-Michel Geneste a dirigé les recherches sur la grotte Chauvet pendant des années. Il y voit un témoignage unique en son genre: « Les hommes qui ont peint Chauvet ont organisé une société. Ils n’ont pas d’écriture mais sont capables d’une projection mentale et de transmettre des mythes et des savoirs. Derrière le premier ressenti esthétique, le corps à corps avec la paroi, il y a la découverte de ces ancêtres. Cette surface de roche a enregistré la plus ancienne mémoire des premiers hommes européens. »
L’invention de la grotte
Les trois découvreurs, on dit aussi « inventeurs », de la grotte sont trois spéléologues amateurs: Eliette Brunel, Jean-Marie Chauvet et Christian Hillaire. Les vingt dernières années ont été marquées par des disputes et de longs procès entre ces découvreurs, l’Etat et les propriétaires des terrains sous lesquels se situe la grotte. Ces affaires de dédommagements, de propriété morale, d’expropriation sont aussi des affaires de gros sous. L’accord entre les découvreurs et la société qui exploitera l’espace de restitution de la grotte Chauvet prévoit finalement une rétribution à hauteur de 3% sur chaque billet d’entrée.
Les 8.000 m2 de la grotte Chauvet accueille 1000 dessins dont 425 figures animales. Quatorze espèces différentes sont représentées parmi lesquelles, fait unique pour l’art pariétal paléolithique, une panthère et un hibou.
Jean Clottes évoque avec passion « ce bestiaire tout à fait original. On trouve les animaux les plus redoutables et les moins chassés. Ours et lions des cavernes, rhinocéros laineux, mammouths… Dans les autres grottes, ce bestiaire ne représente en moyenne que 3% des animaux qui s'y trouvent. A Chauvet, c’est 64%. C’est très étonnant. Il y a 65 rhinocéros à Chauvet contre 10 dans l’ensemble des autres grottes ornées. Même chose avec les 115 lions. »
Plusieurs panneaux et fresques jalonnent le parcours dans la grotte jusqu’à la salle du fond et le chef d’œuvre de la grande fresque des lions. On trouve également un crâne d’ours, posé sur un socle rocheux et entouré d’autres crânes d’ours.
« Il est absolument impossible de deviner pourquoi ils ont peint tout ça, explique Jean Clottes. Je voyage dans des pays où des auteurs de peintures rupestres traditionnelles m’ont expliqué la signification de leurs œuvres. Jamais je n’aurai pu la deviner par moi-même. Les Aurignaciens ne nous ont pas laissé d’explications. »
« Il y a cependant un cadre interprétatif. Cette grotte n’est pas un lieu de vie, donc ces œuvres n’ont pas une vocation esthétique, ou de décor. Par ailleurs, les plus belles fresques se situent au fond de la grotte, à l’endroit le plus dangereux d’accès. Ces types, quels qu’ils soient, étaient préparés. Ils avaient des torches, des outils, de la peinture. Tout ça avait un sens pour eux, ils ne le faisaient pas pour s’amuser. En touchant la paroi, ils entrent en contact avec des forces surnaturelles. En explorant la surface de la roche, ils trouvent des dieux sous forme animale et les dessinent. »
Jean-Michel Geneste note que les artistes de Chauvet « ne représentent pas les arbres, ni le paysage, ni la lune… Ils représentent certains animaux. Ce n’est pas une œuvre naturaliste, mais symbolique. » Pourquoi faisaient-ils ça? « Pour guérir des maladies, pour avoir des enfants, pour avoir la santé, bref pour favoriser la vie, estime Jean Clottes. La plupart des cérémonies religieuses concernent la santé. »
Les Banksy du paléo
Selon les datations du site, les Aurignaciens, issues d’une culture du Paléolithique supérieur (39.000 à 28.000 ans avant le présent), seraient les auteurs des fresques de la grotte Chauvet. Mais il existe d’autres théories.
L’homme de Neandertal, qui n’a pas encore disparu à l’époque où est peinte la grotte, pourrait en être l’auteur. D’autres chercheurs ont avancé l’hypothèse, étayée par des études de projection morphologique, selon laquelle ce sont des femmes qui ont réalisé les peintures. Enfin, des études plus polémiques encore posent la question de la couleur de la peau et des yeux des Neandertal, traditionnellement représentés blonds aux yeux bleus dans les ouvrages scientifiques, ou des Aurignaciens.
La plus belle et ancienne œuvre d’art de l’humanité pourrait donc avoir été réalisée par une femme à la peau noire.