« Celui qui assure ne pas avoir peur en doublant à 350 km/h, sous la pluie, des voitures par la droite et par la gauche s’arrêtera tôt ou tard dans une barrière. » Quand il prendra le volant de sa Porsche, les 13 et 14 juin pour la 83e édition des 24 Heures du Mans, Romain Dumas aura bien en tête qu’une seule seconde d’inattention peut lui faire perdre bien plus qu’une course. Lorsqu’il s’agit d’évoquer les dangers du sport automobile, les pilotes ne sont pas très loquaces. Pourtant, en 82 éditions, une centaine de personnes ont trouvé la mort dans des accidents liés à la course sur le circuit de la Sarthe, dont 22 pilotes. Et même lorsqu’une voiture fonce dans la foule en fauchant 84 vies, comme en 1955, jamais la course n’a été interrompue.
« A l’époque, cette option avait été prise pour faciliter l’arrivée des secours, rappelle Pierre Fillon, président de l’Automobile club de l’Ouest, qui organise la course. La foule, en quittant le circuit, aurait empêché l’accès aux ambulances. Depuis, ce choix n’a jamais été contredit. Le sport automobile est une pratique dangereuse, comme d’autres disciplines. Mais il ne faut pas supprimer un sport parce qu’il est dangereux. Il y a une part de risque qu’il faut accepter, même s'il faut tout mettre en œuvre pour réduire au minimum ce risque. » La mort, Loïc Duval l’a vue de près en 2014 lors des essais qualificatifs. Lancé à plus de 200 km/h, le vainqueur de l’édition 2013 a fracassé sa voiture contre un rail de sécurité à la sortie des virages Porsche. Un an après, il ne se souvient toujours pas de l’accident. « Avec la violence du choc, j’ai eu un trou de mémoire, témoigne-t-il. J'ai eu le sentiment de me réveiller à l'hôpital, alors qu'il paraît que j'étais conscient bien avant. » Transféré en urgence à l’hôpital après avoir été extirpé de la voiture complètement détruite, le pilote français s’en tirera avec quelques cicatrices et une belle frayeur. Mais aussi des interrogations. « Est-ce que j’ai fait une erreur. Eu un problème technique ? J’en sais trop rien », reprend-il. Et même s’il se dit impatient de revenir au Mans cette année, il aura forcément l’accident en tête. « On sait qu’on n’a pas le droit à l’erreur, prévient-il. Même si le nombre de drames a fortement diminué ces dernières années, ça peut toujours arriver. Je suis confiant à 100 %, mais aussi conscient que le risque zéro n’existe pas, surtout à ces vitesses-là. »
Le danger, c’est notre métier. On connaît les risques.
Romain Dumas, vainqueur en 2010.
Avec 56 voitures en courses, réparties en quatre catégories plus ou moins rapides, Le Mans est une course unique au monde. « Les pilotes professionnels côtoient les gentlemen drivers, rappelle Pascal Vasselon, patron technique de Toyota, qui fait partie des favoris cette année. C’est la magie du Mans, mais pour nous, les ingénieurs, c’est un cauchemar. Il y a certains paramètres qu’on ne peut pas avoir sous contrôle. » Davantage que la performance, capitale au vu des budgets engagés par les meilleures équipes, la sécurité reste la priorité pour les constructeurs. « Avant même qu’elle ne prenne la route pour les essais, notre voiture a dû passer des tests de collision très stricts auprès d’experts de la Fédération internationale de l’automobile (FIA), détaille Darren Cox, responsable développement de la Nissan Nismo, qui fera ses débuts dans la Sarthe en juin. Nous avons construit une voiture en partant de zéro. A chaque nouveau développement, le premier critère a été la sécurité. Une fois ce préalable passé, nous avons pu nous concentrer sur la performance. » Ces exigences ont considérablement réduit le risque. « Il y a moins d’accidents, poursuit Loïc Duval. Tout le monde travaille à rendre la compétition plus sûre. Maintenant, attention à ne pas avoir des circuits trop simples. Même si l’objectif de chacun est d’avoir un beau spectacle sans blessés, il ne faut pas créer les conditions d'une course aseptisée. » Un avis partagé par Romain Dumas : « Le danger, c’est notre métier. On connaît les risques. On n’est pas là pour se faire mal. Ma femme n’est pas du tout de ce milieu-là, mais a appris à vivre avec ça. Maintenant, on a un petit garçon. Si plus tard il fait du sport auto, je serais heureux de le voir reprendre le flambeau. Mais s’il n'en fait pas, je serais content. Au moins, je n’aurais pas peur. Parce que quand tu es parent, c’est une autre histoire… »