La 21e minute
Vivre avec la menace terroriste
Policier, maman, ado ou retraité... 20 Minutes est allé à la rencontre des Français pour savoir comment ils vivent avec la menace terroriste, un an après « Charlie ».
Florian, 33 ans.
Professeur d’histoire et de géographie à Vincennes
« Cela fait cinq ans que j’enseigne et j’ai déjà dû faire trois minutes de silence… Notre collège étant situé à Vincennes près de l’Hyper Cacher, nous avons tous été très secoués par les événements. Désormais, j’ai intégré l’enseignement moral et civique à mon programme. Par exemple, pour évoquer la naturalisation, j’ai parlé de Lassana Bathily, le héros de l’Hyper Cacher. Les élèves avaient énormément de questions. L’un d’entre eux m’a demandé si, à l’avenir, d’autres enfants, étudieraient les attentats de 2015 en cours. C’est intéressant de parler de ça en tant que professeur d’histoire… Bien sûr, il y a beaucoup de peur. Aux plus grands, je dis qu’il ne faut pas craindre de traverser la route tout seul. Mais qu’il faut être prudent. Ce qui m’a touché, c’est que des parents m’ont écrit pour me remercier d’avoir évoqué ces événements avec leurs enfants. Cela leur a fait du bien. »
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Christophe, 59 ans.
Consultant dans l’aide internationale à Lyon
« Je n’aime pas du tout la forme d’humour de Charlie Hebdo, je n’ai jamais été d’accord. Ils ne respectaient pas les autres formes de pensées que la leur. Je trouve évidemment aberrant, atroce l’attentat qui a visé ce journal. Mais un an plus tard, je ne comprends toujours pas ce qui a pu se passer pour qu’on les érige en héros. Ce sont des victimes, pas des héros. A titre personnel, ces attentats n’ont rien changé dans ma vie, je ne me sens pas menacé. Avec mon métier, je voyage dans de nombreuses zones dangereuses comme l’Irak, la Syrie… Cela me permet de relativiser beaucoup ce qui se passe en France et ce qui se dit sur l’islamisme. »
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Patricia, 59 ans.
Assistante maternelle à Paris
« C’est sans doute difficile à entendre. Mais j’ai été plus marquée par les attentats du 13 novembre que par l’attaque de Charlie Hebdo. Le 13 novembre, ce sont nos enfants qui ont été visés. Les miens étaient justement dans le 11e arrondissement la semaine précédent. Il faut continuer à vivre. Mais ça me file le bourdon pour tous les jeunes. En tant qu’assistante maternelle, j’ai reçu des directives après les attentats. On m’a dit d’éviter les lieux publics et les parcs. Les enfants que je garde sont déjà victimes de tout cela. »
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Fabrice, 37 ans.
Chauffeur de taxi à Nice
« Je trouve que la France va mal. D’abord il y a eu Charlie, puis le Bataclan. Là ça a été la catastrophe. Les touristes américains ont annulé leur voyage. Donc on a moins de clients pour les taxis. J’estime que mon chiffre d’affaires a baissé de 20 % par rapport à l’année dernière. Quand je transporte des gens, ils se confient, ils me disent qu’ils ont peur, beaucoup plus qu’avant. Ces attaques étaient ciblées. Vous imaginez, c’est comme si on avait mis une bombe un samedi soir place Masséna ou dans le Vieux-Nice. C’est les jeunes qui sont visés, à chaque fois. »
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Patrick, 50 ans.
Pompier à Douai
« Etant en réunion à côté de Charlie-Hebdo, le 7 janvier, je suis intervenu parmi les premiers. J’ai encore en tête l’odeur de la fumée et de la poudre. Ce sont des situations que nous n’avions pas l’habitude de traiter, même en tant que médecin chez les pompiers. Fatalement, il a fallu prendre ça en compte, adapter nos procédures, le matériel et la formation des gars pour faire face à des blessés de guerre. Aujourd’hui, je n’ai pas changé mes habitudes. Je continue à fréquenter les endroits où il y a du monde. Je n’ai pas peur, mais il est vrai que je suis attentif, je regarde un peu plus autour de moi. En même temps, il faut savoir être fataliste. On ne peut pas tout contrôler. »
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Jean-Pierre, 47 ans.
Conducteur de bus à la RATP
« On est beaucoup plus attentif qu’avant. Je sens qu’une psychose s’est installée chez les voyageurs. Surtout avec les bagages. Il y a peu, j’ai assisté à un début de panique à cause d’un sac plastique vide dans mon bus. Personne ne voulait s’en approcher. Or, on voyait bien qu’il s’agissait d’un sac vide. Mais comment en vouloir aux gens ? On connaît tous quelqu’un qui connaît quelqu’un qui a été victime des attentats. »
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Magali, 36 ans.
Patron de restaurant à Paris
« Nous avons été impactés mais sans doute moins que les autres. Nous avons subi une baisse de fréquentation. Ce qui est étrange, c’est que les clients ne parlent jamais de la menace mais qu’ils sursautent désormais au moindre bruit. Je pense que tout le monde a compris que nous ne sommes à l’abri de rien. Mais la vie doit continuer comme avant. Sinon, on donnerait satisfaction aux terroristes. »
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Céline et Jean-Marc, 45 et 49 ans.
Chefs d’entreprise à Lyon
« Les attentats de 2015 n’ont rien changé à notre manière de vivre. Nous ne sommes pas dans la peur, nous ne nous sentons pas menacés. En revanche, cela a influencé notre manière d’apprécier la vie et de réfléchir. Il est de la responsabilité de chacun d’éviter que l’ambiance générale ne se dégrade, ne soit conflictuelle. Nous essayons d’être bienveillants, de plus aider les autres, d’être plus tolérants. Mais nous ne laissons plus passer les dérapages, les propos gratuits et injurieux que nos amis ou nos enfants pourraient dire en déconnant sur la religion ou les origines des uns et des autres. »
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Boubekeur
imam à Nice
« J’ai ressenti un changement après les attentats contre Charlie Hebdo, et il s’est accentué le 13 novembre. Avec ces événements, on a pu comprendre que certains utilisent la communauté musulmane pour régler des comptes terroristes. C’est une situation très inconfortable. Les terroristes n'ont rien à voir avec les musulmans et d'ailleurs, ils n'en ont rien à faire. Le problème, c'est que les attentats ont entraîné des amalgames. Par exemple, dernièrement, on a jeté des têtes de porc sur une mosquée de Draguignan (Var). J’ai pu ressentir que cette stigmatisation déstabilise la communauté musulmane. »
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Sylvain, 19 ans.
Employé d’un commerce bio à Lyon
« Avec ce qui s’est passé le 7 janvier et le 13 novembre, je comprends désormais que la France est attaquée. Les attentats de Charlie ont été un acte de barbarie sans pitié. Cela m’a fait un choc car on n’était pas habitué à voir cela dans notre pays. Quand on voit que cela se passe à l’étranger, on se dit que ça ne peut pas nous arriver ici. je ne l’imaginais pas. Mais aujourd’hui, on ne peut pas oublier. On vit toujours avec cette petite appréhension même si l’on voit que les sites sont sécurisés ou que des militaires patrouillent dans les rues… »
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Olivier, 48 ans.
Maire (PS) de Clichy-sous-Bois
« Ça a changé beaucoup de choses. Personne ne pensait qu’un tel niveau d’atrocité et de violence était possible. Déjà, cela change les choses au niveau personnel. Comme père de famille, on se dit que tout le monde peut être touché. Mais la pire des choses serait de changer notre façon d’être. Je dois continuer, tous les matins, à laisser partir mon fils à la faculté à Paris. Ensuite, comme maire d’une ville populaire, je trouve que le risque mortifère serait de commencer à regarder l’autre de façon suspecte. Au contraire, nous devons insister dans nos relations avec les associations culturelles et cultuelles. La communauté musulmane a peur de l’amalgame. »
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Nadia, 49 ans.
Sans emploi à Paris
« Nous, les Musulmans, avons été victimes deux fois. La première comme tout le monde car nous avons désormais peur en prenant le métro ou en allant au marché. Mais la seconde peur est encore plus dure. Il s’agit de la peur des représailles, la peur de l’amalgame. Je suis Algérienne et cela se voit sur mon visage. Désormais, j’ai surtout peur du regard des autres… C’est pour cela que je ne souhaite pas être photographiée. »
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Sébastien
Pompier à Lesquin (Nord)
« Personnellement, j’ai trouvé ça très triste. Mais au-delà de Charlie Hebdo, je crois que c'est quelque chose qui a touché et touche encore tout le monde. Dans le cadre de notre travail, nous avons reçu des directives nous invitant à être très attentifs les uns envers les autres, plus encore que d’habitude. Parfois, il arrive que nous ayons quelques craintes, surtout lorsque l’on intervient dans des endroits où il y a beaucoup de monde. Mais le métier reprend vite le dessus. Dans mon entourage, ma famille, il y a eu de la peur. On ne peut pas s’empêcher de se demander ce qu’il peut encore se passer. Mais il faut continuer d’avancer. »
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Françoise, 69 ans.
Retraitée de l’Education nationale à Lyon
« J’ai toujours été amateur de Charlie Hebdo. C’est un journal que je suivais depuis le début. Mais ces dernières années, je les ai un peu lâchés. J’étais fatiguée car je trouvais qu’ils avaient perdu du mordant. Ce qui s’est passé le 7 janvier m’a beaucoup bouleversée car je connaissais Charb. Militante pour l’Université Populaire, je l’avais invité à Lyon. C’était quelqu’un d’adorable, pas du tout l’affreux Jojo que l’on a pu décrire. Il était d’une gentillesse exceptionnelle. Après les attentats, je me suis réabonnée à Charlie. Je trouve qu’ils ont su surmonter tout cela et garder le cap. Sinon, il ne faut pas se mentir. Ce qui est arrivé fout la trouille. Qui aurait envie de mourir dans des conditions pareilles ? »
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Pierrot, 60 ans.
Restaurateur à Montpellier
« Pour moi, ça n’a rien changé… Un an après, on n’a rien changé de nos habitudes au restaurant. Evidemment, au début, on en parlait beaucoup, avec les clients et les collègues. On était sous le choc. Mais on est passé à autre chose. On y pense évidemment, parfois, dans un lieu public, c’est normal, mais on essaie d’oublier aussi. Sinon, si l’on vit avec la peur au ventre, en se disant que quelque chose pourrait arriver, on ne vit plus, on ne sort plus… Vous vous rendez compte ! »
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Rémi, 15 ans.
En classe de 3e à Paris
« Il faut continuer à faire la fête. On répète ça jour après jour mais la vérité, c’est qu’on fait plus attention. J’essaye d’éviter les endroits où il y a beaucoup de monde comme Châtelet ou République. Pourtant, il faut profiter de la vie. Alors, je sors en plus petit comité. Les grands rassemblements, j’oublie. Mais je ne dirais pas que j’ai plus peur qu’avant. »
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Nicolas, 48 ans.
Policier et syndicaliste à Paris
« Policier est un métier qu’on exerce 24h sur 24. Encore plus depuis l’an dernier. Qu’on aille au cinéma ou au supermarché, on regarde toujours ce qui nous entoure car la menace terroriste est partout. Nous avons d’ailleurs dû renforcer la sécurité dans tous nos locaux car le ministère de l’Intérieur nous a prévenus dès Charlie Hebdo que les policiers faisaient partie des cibles visées. Nous avons énormément travaillé l’an dernier. Mais il faut aussi des périodes de repos sans quoi nous pourrions devenir inefficaces. »
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Yasmine, 16 ans.
Lycéenne à Lyon
« Au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, je me suis aperçue d’un changement en prenant le train pour aller au lycée. J’ai ressenti une méfiance de la part des personnes âgées assises en face de moi. Elles me regardaient différemment. Depuis, je me sens stigmatisée. On vise beaucoup l’islam, on fait des généralités. J’ai l’impression d’être attaquée dans ma religion. Les gens ne veulent pas écouter quand on répond que l’islam, ce n’est pas ça. »
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Olivier
Professeur des écoles à Nice
« Depuis les attentats de Charlie, je suis susceptible d’être confronté à des élèves qui me posent des questions. Tant mieux ! Autant que ça sorte dans le cadre scolaire. C’est l’occasion d’y remédier puisque l’on dispose de suffisamment d’armes pour répondre. J’utiliserai les discussions collectives via les cercles de paroles, des ateliers philosophiques ou encore l’histoire avec des déclarations d’êtres comme Gandhi. Lui a été assassiné parce qu’il défendait trop les musulmans. Je pense que c’est en fortifiant le bien qu’on l’obtient. »
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Christine, 56 ans.
Employée de banque à Lille
« Je travaille dans une banque alors la série d’attentats a évidemment ajouté des procédures de sécurité, des contrôles. Mais c’est normal, c’est pertinent, et puis ça ne prend pas trop de temps. Au quotidien les gens regardent davantage autour d’eux, ils sont attentifs à un sac qui est abandonné, ils regardent ce que font les autres… Moi ça n’a pas changé ma façon de vivre, mais j’ai une collègue qui a arrêté de sortir et qui a même annulé un voyage à cause de ce qui s’était passé. Chacun réagit différemment. »
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Marc, 69 ans.
Retraité à Paris
« Les événements ont changé énormément de choses. Ce monde devient fou… On ne peut plus avoir confiance en qui que ce soit. Mais, d’une certaine manière, je trouve que cela a développé une forme de solidarité. Les Parisiens ne sont pas sympathiques, dit-on. Malgré ça, j’ai découvert le retour de la cordialité dans les relations humaines. Même si la méfiance domine. Il va nous falloir apprendre à vivre avec. »
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Nacer, 40 ans.
Vigile dans un grand magasin à Paris
« Je pense que les gens ont compris combien le mal peut être mauvais et le bien peut être bon. On parlait de menace terroriste depuis longtemps. Mais les gens ne pouvaient pas s’imaginer… Toute une jeune génération va grandir avec ça. Il faut faire attention à eux. Quand je vois les questions que mes enfants m’ont posées après les attentats du 13 novembre, je me dis qu’ils ont été touchés durablement. En même temps, il ne faut pas avoir peur. La peur est le pire sentiment. »
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Danielle.
Gérante d’une galerie d’art à Nice
« Dans mon quotidien, la seule chose qui a changé, ce sont les militaires qui passent devant la boutique plusieurs fois par jour. Et puis on a moins de touristes américains et australiens, mais ils reviendront ! Ce qui me fait mal, c’est qu’avec les attentats à Charlie Hebdo, le monde de l’art a été touché. D’un côté c’est la liberté d’expression, de l’autre la liberté de vivre. L’art c’est comme Charlie Hebdo. Il y a beaucoup de choses que l’on n’arrive pas à comprendre. Ça ne nous laisse pas indifférent. Mais le but est le même : réveiller les consciences et poser des questions. »
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Sébastien, 30 ans.
Journaliste à Montpellier
« A Charlie, c’est aussi la liberté d’expression qu’ils ont voulu mettre à terre. Mais cela ne nous empêchera pas de continuer à faire notre métier. En revanche, je trouve qu’il y a une évolution de notre profession. Lors des événements de janvier, le traitement médiatique a été un peu brouillon, parfois peu respectueux des forces de l’ordre ou des victimes. Un an après, ça a changé, et les médias se sont rendu compte de leurs erreurs, je crois. Le métier s’est bougé aussi, pour faire changer les choses. Localement, avec les collègues, nous avons mis en place notamment des interventions dans les écoles, pour tenter d’expliquer les enjeux de la liberté d’expression. »
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Joséphine et Léa, 14 ans.
Collégiennes à Lyon
« On a eu du mal à comprendre qu’une personne défendant ses opinions ait pu être fusillée. Personne ne mérite de mourir pour une caricature. On vit dans un pays libre où chacun a le droit de dire ce qu’il pense. En France, on se sentait en sécurité. On voyait cela aux infos mais ça nous paraissait loin. Maintenant, on peut tout imaginer. On a appris à vivre avec cela. On comprend mieux ce que vivent les gens dans les pays en guerre. »
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Crédits : Textes : V. Vantighem, M. Frenois, E. Frisullo, M. Libert, C. Girardon, N. Bonzom, O. Aballain Photos : Thomas SAMSON / AFP - 20 MINUTES / EREZ LICHTFELD-SIPA / Thibault Camus/AP/SIPA